SUN 10 - 11 - 2024
 
Date: Sep 11, 2012
Author: Nadia Aissaoui, Ziad Majed
Source: MEDIAPART
 
Syrie : où est passée la solidarité internationale?

Comment expliquer cette inertie, voire ce manque d’intérêt pour ce qui se passe en Syrie ? Il est possible de lister cinq éléments d’analyse pour tenter de comprendre cette posture.

 

Le premier élément est lié à une perplexité voire une paralysie face à ce que beaucoup appellent la complexité du « Moyen-Orient ». Une région de conflits depuis des décennies et un bastion de « l’islam politique » qui inquiète et suscite peu de sympathie. Cet imaginaire peuplé de clichés et de généralisations offre une image réductrice et masque la réalité de la vie de millions de femmes et d’hommes, de leurs luttes au quotidien, et de leurs véritables aspirations qui ont mené ces deux dernières années aux soulèvements contre le despotisme. Cette trame, ancrée dans les esprits, conforte une certaine tendance culturaliste dont peu arrivent à se défaire.


Il s'agit là du deuxième élément d’analyse, à savoir que les « populations de cette région », habituées aux conflits, le sont également à la violence. Ces révolutions ne sont donc qu’un nouveau conflit, s’ajoutant à d’autres, qu’il est préférable de tuer dans l’œuf. De cette logique découlent deux idées récurrentes sur les sociétés arabes à savoir que, d’une part, elles ne sont pas prêtes pour la démocratie, et plus encore, qu'il faut s’opposer à importer la démocratie chez elles. Sous le prétexte fallacieux du respect de la diversité des cultures, la démocratie devient un concept breveté de l’Occident dont l’usage est mis en doute ailleurs. Les aspirations démocratiques dans le monde arabe ne seraient donc que des lubies agitées par des minorités politiques ou par des courants manipulés par l’extérieur.

 

Le troisième élément s’inscrit dans cette même logique. La victoire des Frères musulmans aux élections tunisiennes et égyptiennes n’a fait que renforcer la peur et alimenter des relents islamophobes caricaturaux. Très peu tiennent compte du fait que les transitions politiques post-dictatures ne se font pas du jour au lendemain sans accrocs et que la victoire des mieux organisés et financés, et surtout les plus opprimés sous les dictatures déchues (ici les islamistes), est une conséquence de décennies de bâillonnement. Très peu misent sur le fait que la libération de la parole et la construction progressive d’institutions politiques soient une promesse que les choix des majorités (quelles qu’elles soient) soient respectés. Pour aller plus loin, combien seraient prêts à considérer dans le futur que les citoyens arabes ayant brisé le tabou de la peur seront de plus en plus en mesure de juger leurs élus sur la base de programmes politiques, et les sanctionner si leurs engagements n’étaient pas tenus ?

 

Le quatrième élément affectant la mobilisation en France, comme en Europe, a une dimension idéologique marquée par l’endoctrinement persistant d’une certaine gauche « anti-impérialiste ». Ainsi, après l’enthousiasme qui a accompagné le début des révolutions tunisienne et égyptienne (contre deux régimes considérés pro-occidentaux), la militarisation de la révolution en Libye, suite à la répression du régime Kadhafi, puis l’intervention militaire onusienne à travers les forces de l’OTAN ont changé la configuration de ce qu’on appelait déjà le « printemps arabe ».

 

Très vite, les débats habituels concernant les complots impérialistes, les enjeux économiques et le pétrole se sont imposés. Une vision apocalyptique des révolutions a émergé, dépeignant une alliance entre un Occident guidé par ses seuls intérêts stratégiques et les forces obscurantistes de la région dites tantôt salafistes tantôt jihadistes, tantôt les deux ensemble.

 

Gauche des « complots »

 

En ce qui concerne la Syrie, faire barrage aux islamistes et aux forces impérialistes est devenu le leitmotiv de cette gauche « pavlovienne », armée des arguments de la propagande du régime de Damas, soi-disant menacé par ces deux fléaux.

 

Malgré des centaines de milliers d’images, de films et de dizaines de rapports d’organisations humanitaires établissant la cruauté d’Assad (à côté duquel les autres dictateurs de la région passent pour des « tendres ») contre son peuple, qui a lutté pacifiquement pendant des mois avant que certains ne prennent les armes, on continue d’évoquer l’impérialisme et les complots. Les auteurs de cette gauche, faisant abstraction des peuples, font même délibérément diversion sur les causes du peuple syrien en Syrie en questionnant la démocratie en Arabie saoudite ou les ambitions du Qatar ou encore « l’encerclement israélo-occidental » de l’Iran !

 

Tout se passe comme si l’absence de libertés en Arabie et les ambitions du Qatar délégitimaient le soulèvement populaire contre un régime despotique qui gouverne la Syrie depuis 42 ans. Ou comme si le meurtre de plus de 25.000 Syriens par al-Assad n’était pas en soi un motif suffisant pour exiger son départ et son jugement, indépendamment de tous les enjeux régionaux.

 

Quant à dénoncer les intérêts des acteurs externes et s’en indigner, c’est faire la démonstration d’une grande naïveté politique puisque l’essence même des relations internationales est basée sur la quête des intérêts propres des protagonistes (Iran, Russie et Chine compris) !

 

Le cinquième élément est le facteur temps qui s’ajoute à l’éloignement géographique (et ce fut également le cas pour le Yémen et Bahreïn), provoquant lassitude et désintérêt. En effet la durée n’a pas joué en faveur des révolutions. Ainsi, la révolution syrienne, la seule qui se poursuit après le départ du président du Yémen, l’étouffement (temporaire) du soulèvement bahreïni et la fin des contestations en Afrique du Nord (voisin), est reléguée au rang des faits divers pour beaucoup de gens, même si les horreurs de la répression font souvent la Une dans la presse et sont prioritaires dans l’agenda de la politique française. L’inertie de la diplomatie et le sentiment d’impuissance face à ce qui se déroule, alors que les réunions et les congrès se multiplient, offrent encore moins d’horizons et d’espoir auxquels une mobilisation pourrait se raccrocher.

 

Pourtant, aujourd’hui, il s’agit de s’élever contre des massacres annoncés, d’assurer la protection de populations civiles (femmes et enfants) qui perdent la vie par centaines quotidiennement. C’est avant tout une conception humanitaire et éthique de la solidarité qui est en jeu et qui devrait transcender tous les autres clivages.

 

Les révolutions arabes, et surtout la révolution syrienne, ont eu le mérite de mettre une partie de l’opinion publique dans plusieurs pays face à ses contradictions. Une question préliminaire s’impose toutefois avant toute réflexion : qui consentirait à être gouverné par un père et son fils, un parti unique, des lois martiales, un État policier, des chars et des réseaux mafieux pendant 42 ans ? Qui s’accommoderait de voir dans son propre pays s’allonger la liste des victimes, des disparus, des prisonniers politiques et des exilés ? Seule une réponse tranchée est à même de construire une solidarité respectueuse de la dignité et la liberté de l’autre, et donnerait une légitimité à tout débat.

 



 
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