Si le Yémen et le Bahreïn sont peu présents dans les médias, ces deux pays connaissent pourtant une succession de développements politiques que les révolutions de 2011 ont enclenchés. Retour sur deux situations complexes et deux processus politiques très différents.
Yémen : En attendant 2013
Le 25 février 2012, le président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir au Yémen du Nord depuis 1978, puis à la République unie depuis 1990, renonce à son poste après avoir quitté le pays. Il est remplacé par son vice-président Abd Rabbou Mansour Hadi, élu suite à un accord politique soutenu par les États-Unis et l’Arabie Saoudite, et par la majorité des acteurs politiques yéménites. Un gouvernement de transition est formé et des garanties aux proches de Saleh sont offertes pour leur épargner des poursuites judiciaires.
Ainsi, la révolution, qui a mobilisé des millions de citoyens sur les places publiques de Sanaa, Taaz et Aden pendant un an, est parvenue à renverser Saleh, tout en évitant de plonger le pays dans une guerre civile généralisée. Dans le même temps, le système politique est resté presque inchangé puisque l’élite politique du pays n’a pas été renouvelée. Des manifestations ont aussitôt repris, demandant des réformes et s’élevant contre l’immunité accordée à Saleh et sa famille (surtout son fils et ses neveux, anciens hommes forts de la garde républicaine et des services de renseignement que le président Hadi vient d’écarter de leurs postes ce mercredi 19 décembre dans le cadre d’une restructuration des forces armées que les manifestants réclamaient depuis des mois).
Le pays doit aujourd’hui faire face à plusieurs grands défis :
- Sur le plan constitutionnel, un accord national doit être conclu pour rédiger la nouvelle Constitution.
- Sur le plan politique, les conditions doivent être réunies pour préparer les prochaines échéances électorales (parlementaires et présidentielles).
- Au niveau sécuritaire, des stratégies efficaces sont à élaborer pour faire face aux groupes proches d’Al-Qaïda installés dans certains gouvernorats du sud-est du pays.
- Au niveau économique, des mesures sont nécessaires pour garantir le fonctionnement des institutions de l’État et attirer des investisseurs dans un pays pauvre et ravagé par la corruption, la mauvaise gestion, le chômage et l’insécurité.
- Au niveau juridique, pour répondre à la revendication des jeunes de la révolution de voir la justice fonctionner indépendamment des compromis politiques et l’exigence du respect des droits de l’homme dans une société considérée parmi les plus conservatrices de la région.
Jusque-là, le gouvernement de transition de Mohamed Basindawa ne semble pas faire preuve d’une grande efficacité. Les aides financières et techniques promises par la communauté internationale pour soutenir la transition tardent à arriver.
Le comité des sages que le gouvernement a formé pour préparer une conférence de dialogue national a accompli sa mission et présenté son rapport fin novembre. Présidé par Abdel Karim Al-Ariani, ancien premier ministre, le comité a proposé un plan pour six mois de réunions consultatives et une composition reflétant la diversité (ou la fragmentation) politique, régionale et tribale du pays. La moitié des participants à la conférence proviendrait du sud et le parti du congrès (du président déchu) aurait la plus grande délégation (112 représentants parmi les 565 participants). Mais ce dialogue qui devait débuter avant la fin 2012 risque toutefois d’être reporté, car de nombreux points de désaccord n’ont pas trouvé de consensus. Il s’agit en premier du refus de certaines forces sudistes de participer si la question de l’adoption du fédéralisme ou même l’acceptation d’une séparation pacifique ne sont pas débattues. Par ailleurs, on note des divergences considérables entre forces politiques concernant les compromis avec les Hawthistes du Nord (voir l’onglet Prolonger), qui avaient combattu le régime Saleh, et les manœuvres du parti Al-Islah (islamiste, de tendance Frères musulmans) qui cherche à se renforcer en tant que premier parti politique en jouant le médiateur entre les « extrêmes ».
À cela s’ajoutent les réserves de plusieurs imams et groupes salafistes quant à la déclaration de principe évoquant l’accord sur la « nature civile » de l’état yéménite que la Constitution doit respecter. Et bien qu’Al-Islah approuve cette déclaration, de même que les grands partis du pays (le parti du congrès et le parti socialiste), le sujet sera sans doute évoqué et créera des tensions.
L’arrivée de l’émissaire onusien Jamal Ben Omar à Sanaa la semaine dernière avait précisément pour objectif d’aider à aplanir certaines difficultés et accélérer les préparations. Pour le moment son initiative n’a pas porté ses fruits. L’année 2013 sera donc décisive pour la survie du processus politique et la construction d’un Yémen unifié et pacifié.
Bahreïn : Entre tensions et blocage politique
Depuis mars 2011, quand les troupes saoudiennes sont intervenues pour soutenir le régime d’Al Khalifah face à l’opposition accusée de faire alliance avec Téhéran, le royaume du Bahreïn traverse une phase d’instabilité et de paralysie politique. Si le gouvernement et ses forces de sécurité sont parvenus à étouffer la contestation en détruisant la place centrale dans la capitale Al-Manama où campaient les protestataires et en arrêtant plus de deux mille opposants, ils ne sont pas parvenus à maitriser la situation dans les tous les quartiers chiites des villes ou des villages à travers le pays.
Les enquêtes menées et les comités formés pour présenter des rapports et proposer des réformes afin de sortir de la grave crise politique qui coupe le pays en deux (une majorité chiite marginalisée d’un côté et une minorité sunnite soutenant la famille Khalifa au pouvoir de l’autre), n’ont pas encore abouti. L’opposition exige la libération des détenus politiques et prisonniers d’opinion ainsi que l’arrêt des poursuites contre ses activistes comme préalable à tout dialogue. Le pouvoir quant à lui continue d’évoquer le complot iranien visant la stabilité du royaume et accuse les opposants de vouloir renverser le régime et non le réformer comme ils le prétendent.
Ainsi les chances de trouver un accord semblent faibles et les institutions constitutionnelles n’arrangent pas les choses. En effet, les élections partielles que le gouvernement a organisées en septembre 2011 – et que l’opposition a boycottées suite à la démission de ses membres du parlement – ont produit une assemblée totalement loyale à l’exécutif. Ceci n’a fait qu’aggraver le clivage politico-confessionnel et anéantir toute possibilité de dialogue et de débat politique au sein des institutions de l’État, ce qui a produit immanquablement une radicalisation du discours et des revendications politiques de part et d’autre.
L’opposition dirigée par Al-Wifaq du cheikh Ali Salman qui se contentait de réclamer que le premier ministre soit issu du plus grand bloc parlementaire pour assurer une meilleure participation politique se voit depuis plusieurs mois dépassée par le discours plus radical des jeunes manifestants qui défient les autorités en appelant à la chute des Khalifa et de leur système. Dans l’autre camp, les associations salafistes et la majorité des personnalités libérales sunnites qui n’étaient pas nécessairement acquises à toutes les politiques de la famille royale se trouvent aujourd’hui solidaires du roi et du gouvernement par « affinité » confessionnelle et crainte du changement.
Entre temps, plusieurs prisonniers politiques ont été condamnés à la prison à perpétuité (comme Abdul Hadi Khawaja, ancien exilé et militant des droits de l’homme). D’autres sont encore menacés d’arrestation, des médecins et des employés dans l’administration publique accusés de soutenir l’opposition ont été licenciés, et des affrontements entre manifestants et policiers ont souvent lieu dans différentes régions du royaume faisant plus d’une dizaine de victimes en 2012.
La répression et l’étouffement de la révolution à Bahreïn ont été possibles car des facteurs internes et externes y ont concouru. Ce pays est victime d’un régime despotique et souffre dans le même temps d’une fragilité « communautaire » divisant sa société. Sa « condition » régionale n’arrange rien puisque sa politique est depuis des années fortement conditionnée et influencée par la concurrence et la tension entre l’Iran et l’Arabie saoudite (lire notre article en 2011 sur le « royaume oublié »).
Le petit État du Golfe reste donc instable. Seuls les appels pour la libération des détenus, l’arrêt de la répression et le début d’un dialogue pour réformer le système politique et permettre une participation de tous pourrait débloquer la situation actuelle. Des appels auxquels le régime Al-Khalifa semble jusque-là sourd…
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