Après les Etats-Unis, « pionniers » en matière d’utilisation du veto pour bloquer toute condamnation des violations du droit international par Israël en Palestine et au Liban depuis des décennies, voilà que la Russie s’y met (avec la Chine) pour couvrir les atrocités du régime syrien contre son peuple dont le nombre de victimes a largement dépassé en moins d’une année les 7.000 parmi lesquelles plus de 430 enfants. C’est ainsi que Moscou a investi le Moyen-Orient en ce début d’année 2012, à la veille d’un possible retour de Poutine à un pouvoir précédemment confié à son « dauphin » Medvedev : un droit de veto éclaboussé du sang de Homs au moment de la commémoration des massacres de Hama que le père Assad avait commis en février 1982, faisant plus de 20.000 morts. Mais cette position a une portée et des objectifs davantage liés à une concurrence avec les Etats-Unis dans la région et dans le monde que la simple entrave à une résolution qui condamnerait le clan Assad et pousserait en faveur de son départ du pouvoir.
Le veto par conséquent ne signifie pas nécessairement la consécration de la Russie comme un acteur principal dans les politiques du Moyen-Orient pour des raisons multiples. La plus évidente étant son influence limitée dans la région en dehors de son pouvoir de blocage. Si la Russie a la capacité aujourd’hui de bloquer des résolutions internationales, elle n’est cependant pas en mesure d’apporter une quelconque contribution pertinente. Les compromis internationaux avec la Russie ne se font pas sur cette région. En réalité, Moscou cherche à acquérir une forme de prestige vis-à-vis de l’Occident en général en vue d’entamer après mars prochain – date de l'élection présidentielle – des négociations concernant entre autres le bouclier antimissiles, les dossiers ukrainien et géorgien ou l’adhésion de certains pays avoisinants à l’OTAN. Toutes ces questions sont probablement plus sensibles aux yeux de Moscou que les futurs contrats d’armement avec Damas (qui n’étaient pas avant ce veto nécessairement compromis par un nouveau pouvoir en Syrie).
Bloquer Washington ou les Nations unies ?
Ce qui semble préoccupant aujourd’hui, ce sont les répercussions que produit le veto russe sur les relations internationales. Au lieu de remplir son rôle de contrepoids à l’hégémonie des Etats-Unis (mission théoriquement pertinente s’agissant de restaurer des équilibres internationaux), il s’est transformé en mécanisme de blocage du rôle des Nations unies (et non de Washington) dans la gestion des situations de violations de droits de l’homme et de persécutions de masse dans différents pays. Il entrave également une organisation régionale (la ligue arabe) qui a sollicité l’aide des Nations unies pour mettre en œuvre son plan de sortie de crise. Cela fragilise davantage ces deux institutions internationale et régionale qui se retrouvent encore une fois démunies et impuissantes face à des tragédies, comme celle qui se déroule aujourd’hui en Syrie. Cette situation, célébrée par des « conspirationnistes » comme une victoire sur l’Amérique, affecte considérablement l’idée de l’importance d’un monde multipolaire post-guerre froide. Plus que cela, l’Amérique acquiert une popularité dans plusieurs milieux arabes puisque la première confrontation russe a eu pour objet la défense implicite de l’un des pires régimes que le monde arabe ait connu. Ce qui au bout du compte ne confère à la confrontation aucun poids véritablement politique et législatif dans la mise en place de cette multipolarité. De plus, le veto russe (qui a entraîné le veto chinois) n’octroiera pas nécessairement à Moscou la possibilité de négocier sur les dossiers qui le concernent directement. En outre, ce veto n’aura fait sur le plan syrien que reporter une chute inéluctable du régime et malheureusement augmenter le nombre de victimes. L’utilisation du droit de veto comme instrument unilatéral au pouvoir de blocage illimité s’est pervertie philosophiquement et éthiquement. Il intervient non pas pour éviter des situations tragiques mais plus pour marchander et négocier des intérêts internes à partir de ces situations. L’ironie du sort veut que ce droit soit exercé dans et sur le monde arabe, dont les peuples se soulèvent depuis un an contre l’injustice et refusent d’être pris en otages dans ce bras de fer que se livrent les plus grandes puissances militaires et économiques de la planète.
Les Syriens et leurs nouveaux défis
Aujourd’hui, les Syriens savent qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Assad est engagé dans une course contre la montre après la visite de Lavrov à Damas. Il a compris que la Russie ne pourrait pas le couvrir éternellement et c’est la raison pour laquelle cette visite a été accompagnée d’une offensive d’une violence sans précédent sur Homs faisant en 72 heures plus de 300 victimes. Zabadani, dans la région de Damas, a également subi des bombardements faisant des dizaines de victimes. Ce vendredi, les Syriens et Syriennes descendent dans la rue pour une nouvelle journée de mobilisation intitulée « La Russie tue nos enfants » (affiche en arabe et en russe). Leur détermination ne semble être affectée ni par le veto ni par les crimes qu’il couvre. Si la semaine dernière un record a été battu concernant le nombre de manifestations par jour, celui d’aujourd’hui a également des chances d’être tout aussi important.
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