Près de 40 morts dans les manifestations en Egypte ces derniers jours. Le gouvernement démissionne, le Conseil suprême des forces armées nomme un nouveau premier ministre de l'ancienne garde du régime et annonce le maintien du premier tour des élections législatives dans neuf départements ce lundi 28 novembre. « La coalition des jeunes de la révolution » et les formations politiques qui la soutiennent annoncent la poursuite de la mobilisation jusqu'au départ des militaires, avec une très forte manifestation ce vendredi. La situation est alarmante et les rapports de force attendent la semaine prochaine pour commencer à se faire connaître.
Il est difficile d'attribuer ce qui se passe aujourd'hui en Egypte à un nombre limité de facteurs ou de développements politiques. Les questions en suspens qui mobilisent des dizaines de milliers d'Egyptiens et les incitent à prendre la rue sont nombreuses. Mais l'approche générale de ce qui se dessine depuis des mois, au-delà des slogans politiques affichés, pourrait être articulée autour de trois questions majeures.
Première question : la révolution inachevée. Ce qui s'est produit en Egypte dans toute son ampleur ressemble avec le recul à une révolution à mi-parcours. Le déracinement complet du système politique dominant n'a pas eu lieu. Si le régime a été décapité, la famille, l'entourage immédiat et le cercle des affaires écartés, le pari selon lequel les élections et le gouvernement qui en est issu feraient le reste a montré ses limites. La lenteur du processus de transition a révélé une gestion politique qui s'apparente à l'ancien système à la seule différence que le sommet de la pyramide n'est plus le même. Cela a été en soi un puissant catalyseur pour retourner dans la rue. Un acte qui marque une volonté de préserver la «révolution inachevée» de toute tentative de faire avorter les perspectives de son accomplissement dans le futur.
Deuxième question : le rôle politique de l'institution militaire, représentée au sommet du pouvoir politique depuis février dernier par « le Conseil suprême des forces armées ». Cette institution avec toute l'influence qu'elle représente est celle qui se caractérise par la plus grande cohésion et discipline en Egypte. Le réseau de relations internes incarne la philosophie même qui a été aux fondements du régime égyptien depuis la prise de pouvoir en juillet 1952 par les officiers libres (et plus précisément depuis que Nasser a écarté Neguib et monopolisé le pouvoir à partir de 1954).
Elle peut difficilement faire l'économie du despotisme, puisqu'elle a transformé la politique et les affaires publiques en une série de procédures et de décisions qui nécessitent le conformisme et l'obédience de la société. Tout questionnement ou toute insurrection sont considérés comme une atteinte à la sécurité et à la stabilité. C'est également une philosophie conservatrice. Ses adeptes cherchent à protéger leur position de force et leurs nombreux privilèges dans le pays.
Ainsi, le lien organique des militaires au pouvoir et ses enjeux, de même que les considérations stratégiques et les relations à l'étranger, expliquent en partie la lenteur de la transition politique du « Conseil suprême » au pouvoir civil, quand bien même un gouvernement aurait été choisi il y a des mois. Cela fait sens également avec les tentatives du Conseil de créer une atmosphère et des conditions qui lui permettraient de se réserver une place de choix après les élections législatives.
La troisième question, qui est liée aux deux précédentes, se rapporte aux rapports de force. Tout processus politique ne peut s'enraciner tant que les rapports de force ne sont pas clairs. Le cas égyptien est aujourd'hui brouillé en raison de multiples polarités, de certaines divisions et alliances occultes. Même si les Frères musulmans semblent avoir la main haute vu leur organisation et leur capacité de mobilisation, les autres forces politiques du pays, religieuses comme laïques, de droite comme de gauche, sans oublier les anciens du « Parti national » (de Moubarak), les hommes d'affaires et notables alliés aux militaires, sont présents. A eux s'ajoutent aussi de nouveaux mouvements et alliances de jeunes issus de la révolution de février. La bataille politique, et bientôt électorale, entre toutes ces forces déterminera les possibles scénarios des prochains mois, entre le début de l'année et l'été (pour les élections présidentielles).
L'Egypte entame donc une phase politique très complexe résultant de l'inachèvement de la révolution. Les équations et les rapports de force actuels sont en tout état de cause temporaires. Il est possible d'affirmer en revanche que l'essentiel des acquis de la révolution, c'est le recours à la rue. Cette dernière est désormais synonyme d'espace public où les droits des citoyens et des citoyennes, l'opposition et les revendications sont affirmés. La majorité des Egyptiens rejette l'hégémonie et le despotisme, et entend jeter les bases de la continuation d'un processus irréversible même si l'entreprise s'avère laborieuse.
A la veille des élections législatives qui devraient en principe se tenir le 28 novembre, voici un panorama des forces politiques et coalitions en présence :
Les alliances électorales : les principaux acteurs
– L'Alliance démocratique
Une coalition dirigée par le Parti « liberté et justice » (bras politique des Frères musulmans), comprenant des partis islamiques modérés de même que le parti « Al-Ghad » (libéral laïque) et des partis nationalistes de gauche.
– Le Bloc égyptien
Une alliance prônant un Etat civil, formée par des partis de centre droite, centre gauche et de gauche, dont le « Tagammo'o » (historique de gauche) et « Les Egyptiens libres » (libéral, fondé en mars dernier par l'homme d'affaires Naguib Sawiros et des intellectuels de différentes tendances).
– La Révolution continue
Une alliance de partis de gauche et de centre gauche, à majorité laïques, présentant des candidats dont 60% ont moins de 35 ans. La « coalition des jeunes de la révolution » s'est officiellement retirée de cette alliance, mais a « autorisé » ses membres à la soutenir et à se présenter sous ses couleurs en tant qu'indépendants.
– L'Alliance islamique
Une coalition électorale idéologiquement homogène, formée de quatre partis salafistes, dirigée par « Al-Nour ». Elle rejette toute référence à la laïcité et à l'Etat civil.
A ces quatre « formations électorales », s'ajoutent un nombre de partis et de mouvements politiques qui participent largement aux élections, dont deux sur lesquels les observateurs se penchent pour évaluer leur performance et leur soutien au sein de la société:
– Le parti Al-Wafd : parti historique de l'indépendance, ancré à droite. Il présente des candidats dans la majorité des circonscriptions électorales et prétend avoir toujours une base fidèle à ses principes.
– Le parti Al-Wassat : parti du centre, de référence islamique, soutenant un Etat civil et démocratique, dont certains des fondateurs sont des anciens des Frères musulmans. Son discours et son programme sont souvent comparés au modèle de l'AKP turc. Son enjeu majeur sera de parvenir à exister face aux Frères musulmans et aux salafistes.
Il importe également d'observer de près les candidatures des anciens du parti Moubarak, surtout les notables et hommes d'affaires locaux, qui peuvent toujours compter sur le clientélisme et les réseaux affairistes en place pour gagner un soutien dans certaines régions.
Enfin, il reste à voir si ce qui est communément appelé la « question copte » va peser dans ce processus électoral. Les candidats coptes ont souvent échoué par le passé. Un des défis de la société égyptienne d'après Moubarak serait de valoriser sa diversité et contrer tous ceux qui souhaitent voir les « minorités » exclues des institutions représentatives. Ce serait également un désaveu pour ceux qui ont provoqué la vague de violence et les agressions contre les manifestants coptes au Caire en mai dernier. Le système électoral
Après de longues négociations et multiples modifications, le système électoral finalement adopté pour les élections parlementaires est un système mixte, avec deux tiers des sièges accordés aux listes des partis et élus sur une base proportionnelle (332 sièges), et un tiers des sièges accordés aux circonscriptions à candidatures individuelles sur base majoritaire (166 sièges).
Les élections sont organisées en trois étapes avec 50 millions d'électeurs au total.
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