A la veille d'un ramadan qui s'annonce «mouvementé» en Syrie, avec d'un côté l'intention des activistes de manifester chaque soir et de l'autre les mesures prises par le régime d'El-Assad pour accentuer la répression et la violence, la stabilité au Liban apparaît de plus en plus incertaine. Les tentatives de Damas de jouer la carte régionale et les «alertes sécuritaires» se succèdent.
Le régime syrien a souvent opté pour la déstabilisation régionale quand il s'est senti menacé. De la manipulation de certaines organisations palestiniennes pour affaiblir le Fatah et l'OLP (depuis les années 1970 mais surtout à partir des années 1980 et jusqu'à nos jours), à l'invasion du Liban en 1976 et l'occupation du pays jusqu'en 2005, à l'envoi d'armes en Iraq depuis 2004, en passant par le conflit avec la Turquie au début des années 1990 dont les victimes étaient surtout kurdes, les Assad père et fils ont tenté de montrer que leur règne absolu était indispensable pour la sécurité dans le Moyen-Orient.
Aujourd'hui encore, cela n'a pas changé. Après la déclaration de Rami Makhlouf, cousin de Bachar El-Assad et grand magnat de l'économie syrienne au New York Times le 11 mai dernier, évoquant une probable instabilité en Israël si le régime syrien était menacé, les messages syriens dans le même sens se sont succédé: une instrumentalisation d'une marche palestinienne commémorant la Nakba vers la frontière du Golan (territoire syrien occupé depuis juin 1967 et front arabe le plus calme avec Israël depuis 1974), et surtout plusieurs «manœuvres» au Liban.
La boîte aux lettres
En 2008, après la réconciliation franco-syrienne suivie en 2009 par une réconciliation saoudo-syrienne puis une normalisation américano-syrienne (traduite par le retour en 2010 de l'ambassadeur américain à Damas), la campagne d'assassinats politiques au Liban (qui avait commencé en fin 2004 faisant des dizaines de victimes) s'est brusquement arrêtée. Fait à peine surprenant et d'autant plus explicite quant à l'implication de Damas dans les assassinats que la France, l'Arabie et les Etats Unis s'en sont même félicités en annonçant que leur ouverture sur Damas était effective «dès la fin des attentats au Liban».
Mais depuis avril 2011, avec la progression de la révolution en Syrie, de graves incidents se sont déroulés au nord comme au sud du Liban.
Au nord, des accrochages ont eu lieu à Tripoli, deuxième ville du pays, martyrisée dans les années 1980 par l'armée syrienne. Des miliciens alaouites des quartiers pauvres et marginalisés de Jabal Mohsen se sont opposés à des jeunes sunnites des quartiers voisins (également démunis) de Bab al-Tabbané. Leurs accrochages ont fait plusieurs morts et blessés. Le message était clair: les tensions communautaires qui ont longtemps alimenté les combats dans cette ville durant la guerre au Liban sont susceptibles de resurgir à tout moment avec l'escalade en Syrie. Elles font écho à des tensions similaires alimentées par Damas sur le littoral syrien (notamment autour de Lattaquié) pour effrayer la population.
Au sud, une explosion a visé le 27 mai dernier un convoi italien de la Finul. Le 26 juillet, une deuxième explosion a visé cette fois les soldats français. Sept militaires ont été blessés dans les deux attentats.
Ces événements étaient porteurs d'un double message. Il s'agissait d'envoyer à la communauté européenne, qui hausse de plus en plus le ton contre la répression en Syrie, un avertissement signifiant la vulnérabilité de ses Casques bleus et, dans le même temps, pointer la frontière du Sud-Liban comme un lieu de tension potentiel avec Israël.
Une insoutenable attente...
C'est bien l'interprétation de ce second message qui est la plus préoccupante, au moins pour beaucoup d'observateurs libanais. Le régime syrien n'abandonne pas dans ses calculs l'éventualité d'une grande tension dans toute la région pour détourner l'attention de ce qui de passe à l'intérieur de la Syrie. De plus, il espérerait que soient reconnus, dans le cadre d'initiatives internationales, sa légitimité et son rôle crucial dans le maintien du calme sur la frontière israélienne en cas de nouveau conflit armé entre son allié, le Hezbollah, et Israël au Sud-Liban.
De son côté, le Hezbollah libanais ne cache pas sa nervosité. Quatre de ses membres ont été accusés par le tribunal international spécial pour le Liban (dans l'affaire Hariri) d'avoir joué des rôles importants dans l'assassinat de l'ancien premier ministre. Son secrétaire général, Sayyed Hassan Nasrallah, a déjà menacé Israël de représailles si son armée venait à intervenir contre des projets libanais prévus pour l'exploitation de gisements de gaz et de pétrole en Méditerranée. Or c'est un scénario pour le moins risqué, non seulement militairement, mais aussi du point de vue des bases sociales du parti qui ne sont pas prêtes à voir leurs maisons et institutions détruites une fois de plus après cinq années de reconstruction. Cette démarche serait d'autant plus impopulaire que les raisons qui la motivent semblent être purement syriennes et que Téhéran par ailleurs préfère que le parti lui serve de renfort plutôt que de servir Damas.
Les Israéliens, quant à eux, n'ont pas cessé depuis la guerre de 2006 de menacer aussi d'attaquer le parti (et donc le Liban). Confronté au projet palestinien de s'adresser aux Nations unies pour la reconnaissance de la Palestine, malmené également par un grand mouvement de contestation sociale à Tel-Aviv affaiblissant Nétanyahou, et craignant les répercussions de tout ce qui se passe dans la région, le gouvernement de droite (et d'extrême droite) pourrait faire preuve d'une plus grande «agressivité». L'Etat libanais étant insignifiant dans tout cela, les Libanais appréhendent les prochains mois. Ils appellent de leurs vœux des changements «rapides» en Syrie, en Israël comme en Iran (où Ahmadinejad semble isolé, les proches du guide Khameni le critiquant désormais ouvertement).
Ils estiment que seuls des dénouements «positifs» dans ces pays pourraient apaiser les tensions et pensent que des médiations onusiennes concernant les gisements en Méditerranée empêcheraient les Israéliens de saboter leurs projets et éviter de ce fait toute confrontation militaire, limitée ou de grande envergure.
En tout état de cause, le Liban semble de nouveau être un théâtre ouvert à différents scénarios. Si l'on ajoute à cela la crise que connaît son système politique confessionnel (voir notre article Pendant ce temps, au Liban), les divisions verticales au sein de sa société, l'excès de puissance du Hezbollah armé et l'incapacité de ses élites politiques à gérer les crises pour bannir définitivement de sa scène interne et de ses frontières les retombées des développements régionaux, la situation devient de plus en plus complexe et «l'attente» se prolonge...
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