Date: Sep 6, 2012
Author: Nadji SAFIR
Source: Alternatives Internationales
Cinquante années de développement économique en Algérie : une dimension particulière d’une crise complexe

En cette année du cinquantième anniversaire de l’Indépendance, l’économie algérienne  apparaît comme peu diversifiée et dominée par une logique rentière liée à l’exploitation des hydrocarbures. En effet, depuis le début des années 2000, ceux-ci  représentent, sensiblement, 35 à 40% du Produit Intérieur Brut, 65 à 70% des recettes budgétaires de l’état et 98% des recettes d’exportations. Les indicateurs sont clairs et renvoient à une économie marquée  par une logique rentière systémique dont les effets négatifs se diffusent en direction de toutes les  activités de production de biens – hors hydrocarbures – qui sont en régression. Ainsi, lors d’un débat à l’Assemblée Populaire Nationale, le Premier Ministre Ahmed Ouyahia a-t-il pu affirmer, dans sa « déclaration de politique générale », le 21 octobre 2010 : « … malgré quelques reprises, l'industrie se voit de plus en plus marginalisée et n'a participé qu'à près de 5% de la valeur ajoutée globale de l'année dernière, soit moins que la part des services de l'administration ». Cette « nouvelle donne »  de l’économie algérienne doit être réinscrite dans le cours de l’histoire du pays sur les cinq dernières décennies et qui peut être considérée selon quatre grandes périodes.


La première se caractérise, dans un contexte politique et institutionnel relativement confus, par la volonté de poser les premiers jalons d’une politique économique « socialiste » tout en prenant en charge les nombreux problèmes d’une société bouleversée par la guerre qui vient de s’achever et qui en subit encore les nombreux traumatismes. Cette phase apparaît comme ayant  été dominée, dans un contexte postcolonial marqué, plus par un ensemble de dynamiques politiques et idéologiques que par la mise en œuvre de principes réellement structurants de l’économie nationale, à l’exception des textes de Mars 1963 organisant les modalités de fonctionnement de l’autogestion dans certains secteurs d’activité. 


La deuxième est celle au cours de laquelle s’affirmera une politique visant de manière volontariste à mettre en place un système productif national contrôlé par le secteur public. Le recours à « l’état-entrepreneur » apparaît à l’époque comme une option incontournable en raison de la faiblesse des capacités nationales en la matière ; elles-mêmes liées au type de colonisation qu’a connu le pays. Si le « modèle », dans sa formulation, se veut équilibré, il sera vite caractérisé, dans sa mise en œuvre, par des déséquilibres croissants en faveur du secteur industriel, destiné à fonctionner comme un attribut tangible de la modernité et un moteur du développement, dont la centralité croissante aura de lourdes conséquences directes sur l’ensemble de la société.  Ceci dit, c’est la nationalisation des hydrocarbures en 1971 qui va jouer un rôle absolument décisif en fournissant les indispensables ressources financières exigées par l’accumulation projetée, étant donné les énormes besoins en investissements, notamment dans le secteur industriel dont la base était très faible. Mais, il faut être conscient qu’en même temps, est introduite dans le fonctionnement de l’économie – et, progressivement de manière plus large, dans celui de toute la société – une logique de rente qui, en raison de la non-maîtrise de son utilisation selon des mécanismes transparents, va être à l’origine de beaucoup de dysfonctionnements majeurs. Cette phase dont la cohérence de la vision – notamment en termes de logique productive - est indéniable s’achèvera toutefois, sur la base des faibles performances de l’économie, dans les conditions d’une crise de plus en plus évidente du « modèle » postulé dont la mise en œuvre aura fait apparaître de trop nombreux déséquilibres et blocages.


La troisième est dominée par une volonté de réforme du mode dominant de régulation de l’économie allant dans le sens d’un renforcement des principes liés à l’économie de marché et à l’ouverture sur le marché mondial. De ce point de vue, divers processus de réforme vont être engagés qui se poursuivront tout au long de la décennie 1980, mais dont les résultats en termes de transformation effective des réalités économiques et sociales visées seront relativement faibles. En effet, comme le prouveront les « évènements d’Octobre 1988 », qui inaugureront un processus de crise majeur marquant une rupture dans l’histoire du pays, il existait un trop fort décalage entre la volonté affichée de réforme et la capacité politique réelle d’action en direction de la société. Dès lors, cette phase s’achèvera dans une impasse politique d’une gravité sans précédent et qui relèguera les préoccupations d’ordre économique au second plan, loin derrière les urgences politiques et même sécuritaires.


La quatrième consacrera progressivement la domination de la logique rentière systémique liée à l’exploitation des hydrocarbures. Elle commence dans un contexte difficile d’exacerbation de la violence terroriste qui, au cours, des années 1990, atteindra des sommets réduisant à sa plus simple expression toute capacité de formulation d’une politique économique. Ce n’est qu’une fois le niveau de la violence ramené à un bas niveau d’intensité et relativement limité géographiquement – soit, à partir des années 2000 - que les contours d’une politique économique se dessinent. Fondamentalement basée sur, d’une part, le recours à une forte dépense publique - notamment orientée vers le bâtiment et les travaux publics - alimentée par les ressources rentières et, de l’autre, une ouverture sur le marché mondial favorisant la multiplication de nouveaux monopoles ou oligopoles commerciaux privés locaux, elle a eu deux types de conséquence, étroitement articulés dans un « cercle vicieux » : d’abord, une régression généralisée des activités productives assimilable à une véritable crise de créativité de la société; ensuite l’émergence concomitante d’une « économie de bazar », elle-même plus ou moins inscrite dans un secteur informel en pleine expansion et greffée sur des logiques de prédation des ressources rentières.


En conclusion, l’histoire de l’économie algérienne sur les cinquante dernières années est dominée par l’échec, à la fois, du projet « industrialisateur » des années 1970 et des diverses tentatives qui, depuis les années 1980, ont essayé de le réformer dans un long processus de transition qui dure encore. Au terme des diverses évolutions évoquées, aujourd’hui, sont en présence deux visions du développement de l’économie : la première, créatrice, l’intégrant dans un projet, plus large et à plus long terme, de modernisation de la société et visant à faire de celle-ci un espace effectif de créativité dans tous les domaines d’activité, ouvert sur les logiques mondiales contemporaines et impliquant donc, progressivement, une maîtrise sociale de l’utilisation des ressources rentières allant dans le sens d’une réduction de la dépendance à leur égard. La seconde, prédatrice, souvent arguant d’un nationalisme de façade peu convaincant et s’inscrivant dans une vision de court terme, veut continuer d’en faire un espace clos – d’où les réticences, en dehors du cas des hydrocarbures, à l’égard des investissements privés nationaux et étrangers - permettant en réalité la poursuite de la prédation des ressources rentières au profit des segments de l’élite et des catégories sociales en contrôlant les conditions de l’utilisation. Chacune de ces deux visions dispose d’une base sociale au sein de la société en général, ainsi que de la société civile et des différents segments des élites civiles et militaires constitutifs de la bureaucratie contrôlant le pouvoir d’état et les divers appareils institutionnels. De l’issue de la lutte entre ces deux visions, telle que réinscrite dans le contexte des dynamiques sociales, politiques et culturelles en cours, vont dépendre les évolutions futures de la société. C’est dans ce cadre global que doit être resituée l’économie dont les caractéristiques particulières prennent toutes leurs significations une fois qu’elle est saisie comme une dimension inscrite dans une crise complexe, fondamentalement multidimensionnelle, toujours active et dont les perspectives de sortie ne sont pas encore esquissées.


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La première période (1962/1965) : de la formation du premier Gouvernement présidé par Ahmed Ben Bella, en septembre  1962, au coup d’état du 19 juin 1965.
La deuxième période (1965/1978) : exercice du pouvoir par le Président Houari Boumediene.
La troisième période (1979/1991) : exercice du pouvoir par le Président Chadli Bendjedid.
La quatrième période (depuis 1992) : inaugurée par l’interruption du processus électoral et le déclenchement de la violence armée et correspondant, depuis 1999, aux mandats exercés par le Président Abdelaziz Bouteflika.


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Réponses aux questions posées :
1) les hydrocarbures ont pris de plus en plus d’importance à partir de l’an 2000 ;


2) l’expression est de moi


3) les textes de mars 1963 organisaient l’autogestion d’abord dans l’agriculture ; leurs principes seront ensuite étendus à de petites unités industrielles


4) la faiblesse des capacités nationales liées au type de colonisation qu’a connu le pays renvoie à l’absence d’une catégorie sociale significative d’entrepreneurs privés autochtones


5) le déséquilibre se fait surtout au détriment de l’agriculture


6) dans la démarche « industries industrialisantes », les principaux secteurs visés étaient ceux des industries sidérurgiques, métalliques, mécaniques et électriques


7) il est difficile de parler d’enrichissement personnel de dignitaires du régime car les preuves n’existent pas


8) la logique productive est indéniable parce que l’industrie nationale produisait effectivement, mais à des coûts non compétitifs eu égard aux conditions de la compétition mondiale


9) en Algérie, le terme « d’évènements d’Octobre 1988 » est consacré par l’usage en raison de sa neutralité ; car en fait selon beaucoup de sources informés les « évènements » ont été générés par des forces appartenant au régime qui en ont perdu le contrôle


10) durant la période 79/91, les blocages sont liés aux divergences en termes de conception et de mise en œuvre de réformes d’inspiration « libérale »


11) et 12) les monopoles et oligopoles sont effectivement liés à l’importation de produits et portent sur tous types de produits et en priorité ceux destinés à la consommation des ménages


13) c’est une logique de profit rapide et de dissimulation des gains dans un contexte d’expansion rapide du secteur informel ; par ailleurs tout le fonctionnement de l’appareil d’état et des institutions ne favorise pas l’investissement productif


14) il est difficile d’être aussi affirmatif à propos de la proximité du pouvoir tant la crise de créativité semble généralisé ; par ailleurs, certaines entreprises ont pu se développer sans être détenues par des proches du pouvoir


15) oui il y a des liaisons structurelles entre l’informel et les divers monopoles et oligopoles dont le fonctionnement génère l’économie de bazar dominante


16) oui on peut parler de contrôle démocratique des ressources rentières


17)  voici ce que je propose :
C’est dans ce cadre global que doit être resituée l’économie dont les enjeux prennent toutes leurs significations une fois qu’elle est saisie comme une dimension particulière inscrite dans une crise complexe toujours en train de se dérouler et dont les perspectives de sortie semblent lointaines.

 

 

par Nadji SAFIR, Chargé de Cours, Institut de Sociologie de l’Université d’Alger