De Beyrouth,
Les Chrétiens auraient-ils tout à redouter d'un renversement de Bachar el Assad ? Beaucoup, en Syrie et au-delà, le croient. C'est l'un des derniers atouts du régime syrien, à l'intérieur comme à l'extérieur.
Samir Frangié est l'un des intellectuels chrétiens les plus respectés dans le monde arabe. Ce « vieux sage » de la politique libanaise (il est l'un des piliers du mouvement du 14-Mars) explique, en français, pourquoi ses coreligionnaires ne doivent pas s'associer à la dictature à Damas.
« Ma mère était d'Alep. Je sais les craintes des Chrétiens de Syrie. Je sais pourquoi beaucoup redoutent un changement de régime à Damas. C'est vrai que, bien qu'il ait bombardé les chrétiens du Liban, le pouvoir syrien n'a pas tourmenté cette communauté chez lui. Il l'a laissée tranquille. Il a ménagé les représentants des églises. C'était bon pour son image de marque à l'extérieur.
Mais aujourd'hui s'associer à ce système tortionnaire dont les gens ne veulent plus, c'est risquer d'être emporté avec lui, de payer le prix fort quand il tombera. Et il tombera, dans une semaine, dans un mois ou dans un an ! Pour Bachar, les jeux sont faits.
Chrétiens de Syrie, n'ayez pas peur de la révolution ! Je ne dis pas « prenez la tête des manifestations ». Mais c'est le moment d'exprimer des positions de principes simples et fortes. De dire que les Chrétiens arabes sont enthousiasmés par les bouleversements en cours. Dire qu'ils ont un rôle fondamental à jouer dans ce nouveau monde arabe, leur monde.
Bien sûr, je comprends que les intellectuels chrétiens en Syrie éprouvent des difficultés à parler ouvertement aujourd'hui. Mais ceux de la diaspora, en Europe, aux Etats-Unis, devraient s'exprimer. Dire maintenant leur foi dans le nouveau monde arabe.
Oui, il y a des risques, des risques engendrés par l'échec dramatique d'Assad. Après sa chute, il y aura une lutte politique à mener pour promouvoir la démocratie, le pluralisme, l'ouverture vers le monde. Comme après la chute du Mur de Berlin, il a fallu des années avant que la démocratie et le respect des droits de l'Homme ne prennent racines dans l'ancien empire soviétique. Les Chrétiens doivent prendre toute leur place dans cette bataille pour la convivance (magnifique substantif que l'Académie française a récemment adopté) entre les différentes communautés. Rien n'est gagné. Mais tout est possible. »
Propos recueillis par Vincent Jauvert
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