Date: Oct 13, 2012
Author: Nadia Aissaoui, Ziad Majed
Source: MEDIAPART
 
Palestine, 64 ans de solitude

À l'automne de l'année dernière, l'élan du printemps arabe a semblé faire avancer d’un pas la bataille diplomatique palestinienne à l'ONU et redonner, après une longue absence, à la Palestine une présence dans les forums internationaux. Puis vint l’adhésion à l’Unesco pour consacrer ce retour et redonner l’espoir d'une reconnaissance internationale d'un État palestinien. Une nouvelle dynamique semblait naître dans la région, après l'échec des négociations, la poursuite de la colonisation, et la finalisation du mur. Aujourd'hui, un an après le discours devant l'Assemblée générale des Nations unies, pourquoi la cause palestinienne est-elle retombée dans les oubliettes et pourquoi son leadership est-il en faillite ?


Bon nombre d’intellectuels et d’activistes palestiniens se désespèrent de la situation de ces dernières années. Les Palestiniens ont toujours été les pionniers dans leur dynamisme et de leur diversité politique, d’opinion et de courants dans un monde arabe gouverné pour l'essentiel par le despotisme et le parti unique et/ou clanique, républiques et monarchies confondues. Ils constituaient avec leurs Intifadas successives (en particulier celle de 1987 contre l’occupation, l’impuissance, le silence et la duplicité internationale) une avant-garde de tous les mouvements populaires arabes.

 

Et voilà qu’avec les transformations majeures (dues aux révolutions) qui touchent la Tunisie, l’Égypte, la Libye, Bahreïn, le Yémen et la Syrie, avec la progression des contestations au Maroc et en Jordanie, les Palestiniens semblent avoir du mal à emboîter le pas des révolutions et à se rebeller contre leur situation interne en premier et l’occupation israélienne ensuite.

 

L’Autorité palestinienne a cru compenser cette inertie en livrant une bataille diplomatique dans une période qu’elle jugeait favorable. Mais elle s’est vite ravisée face à la pression américaine, la complexité de la situation et le déchirement national dont elle porte autant que le Hamas la responsabilité.

 

Aujourd'hui, la situation semble être au plus bas tant au niveau interne qu'externe. Les Palestiniens semblent être dépourvus d'options politiques et de possibilités de réconciliation, et peinent à développer une nouvelle politique étrangère. Quelles sont les raisons de cette impasse ?

 

L’impuissance face à la machine de colonisation israélienne

 

La première raison, et non la moindre, est cette situation de blocage face à un gouvernement israélien de droite et d’extrême droite qui agrandit obstinément ses colonies en Cisjordanie et Jérusalem-Est et qui confisque les biens et les terres palestiniennes dans le but d’accélérer la « politicide » de l’entité palestinienne. Et ce, concomitamment avec l'échec onusien à geler les décisions colonisatrices du gouvernement israélien et l’absence de nouveaux plans pour contrer cette situation.


La rupture entre la Cisjordanie et la bande de Gaza

 

La deuxième raison est la terrible fragmentation des Palestiniens entre la bande de Gaza et la Cisjordanie depuis plus de cinq ans. Entre l’autorité palestinienne et sa base, le mouvement Fatah, et le Hamas, une sorte de guerre civile froide est toujours en place. Elle se manifeste par des mesures de répression mutuelle, par l’existence de deux gouvernements tous deux faibles, et par de nombreuses divergences, en particulier sur la gestion du conflit et de la négociation avec Israël.


Le sentiment que la cause palestinienne a été oubliée

 

La troisième raison réside dans l’épuisement qui a gagné une grande partie des Palestiniens à la suite des tergiversations des pays arabes et occidentaux en regard de leur cause. La détérioration croissante du niveau de vie du fait de la baisse de l’aide internationale à l’Autorité, le recul considérable des investissements et le blocus sur Gaza ont eu également raison de la société, qui ne voit pas poindre à l’horizon de sérieux signes de modification de l’attitude des puissantes internationales vis-à-vis de l’occupation israélienne. Un nouveau soulèvement contre les Israéliens pourrait ainsi coûter très cher, et les divisions rendent impossible une mise en œuvre d’objectifs politiques communs.

 

La Confusion liée aux changements régionaux

 

La quatrième raison tient au flou qui règne quant à la vision politique tant de l'Autorité nationale représentée par le président Mahmoud Abbas que du Hamas à la suite des changements profonds qui ont lieu dans le monde arabe, avec notamment la montée des Frères musulmans dans plus d'un pays. Pour la Palestine, le pays le plus important reste bien entendu l’Égypte vu sa relation avec les Palestiniens et sa gestion du point de passage de Rafah.

Mais il s’est produit de fait et par ailleurs une redistribution des cartes concernant les alliances régionales des deux partis palestiniens.

 

Le Hamas a quitté Damas après la révolution syrienne contre le régime d'Assad et s’est éloigné de l’axe Iran-Syrie pour se rapprocher des États du Golfe, anciens soutiens de l’Autorité palestinienne. Il a également consolidé sa relation avec la Turquie, et a sans doute des liens importants avec le nouveau pouvoir égyptien qui aspire à redevenir un acteur majeur sur la scène moyen-orientale. Cela signifie que le Hamas représente aujourd’hui un élément de tiraillement et de repositionnement régional qui le détournent temporairement des affaires internes.

Quant à l’Autorité palestinienne, dans une hésitation constante, elle semble incapable de se mouvoir ou d’impulser des initiatives qui accompagneraient les changements. Douze mois ont passé depuis le passage à l'Organisation des Nations unies en 2011 pour acter l’échec des négociations précédentes et inciter la communauté internationale à jouer son rôle pour permettre l'acceptation d'un État palestinien. Elle semble depuis de longs mois ne plus poursuivre le combat et les efforts diplomatiques pour arracher la reconnaissance de la Palestine, et reste dans l’expectative quant aux développements dans la région.


Le délaissement des camps en Syrie et au Liban

 

La faillite de la gestion politique des affaires palestiniennes ne s’illustre pas seulement en Cisjordanie et à Gaza ou par le manque de dynamisme diplomatique, mais se manifeste aussi à l'égard de la « diaspora » palestinienne, en particulier des réfugiés dans les camps au Liban et en Syrie.

 

Dans les camps du Liban, les tensions sont permanentes au nord comme au sud. Les réfugiés souffrent à l'intérieur et à l'extérieur des camps des lois libanaises discriminantes à leur égard. Aucune des parties palestiniennes ne semble en mesure d’agir sur la situation et diminuer la pression sur les réfugiés.

 

En Syrie, l’aggravation des conditions de vie des Palestiniens a été fulgurante, le régime ayant opéré des attaques contre les camps de réfugiés (de « Raml » à Lattaquié, à « Yarmouk » et « Palestine » à Damas en passant par les camps de Daraa, Homs, Hama et Alep) au prétexte que ces derniers abritaient des activistes syriens et que les Palestiniens participaient aux manifestations contre le régime.

 

Ces attaques se sont soldées par l’arrestation, la blessure et la mort de centaines de Palestiniens. Des milliers d’autres ont été déplacés à l'intérieur de la Syrie ou ses environs (Liban et Jordanie en particulier). Face à ce drame, ni l’autorité palestinienne ni les principales organisations, dont le Hamas, n’ont pris d’initiatives. Ce qui a fini de creuser davantage le fossé entre les réfugiés, l’« Autorité » et les mouvements politiques perçus comme incapables, absents et indifférents à leur sort.


Un peu d’espoir…

 

À la lumière de ce qui semble donc être une impasse sans horizon, un vacillement de l’Autorité, un repositionnement du Hamas, une diminution de l’attention internationale et des craintes des développements régionaux, rien de ce qui filtre des réunions de la direction palestinienne ne semble clair. Cette dernière évoque une nouvelle possibilité de revenir à l'Organisation des Nations unies pour parachever la demande de reconnaissance de la Palestine, tandis que des proches de l’Autorité n’écartent pas la possibilité d’une démission de Mahmoud Abbas. Certains s’attendent également à une attaque israélienne contre l’Iran qui aurait des répercussions sur la situation palestinienne et d’autres attendent les résultats des élections aux États-Unis pour connaître les orientations futures de la politique étrangère de l'administration américaine.

 

 

Mais la complexité de la situation et le sentiment d’impuissance ne sauraient confisquer à eux seuls la scène palestinienne. De nouvelles dynamiques percent en marge, regroupant des jeunes de différentes appartenances, indépendants des formations politiques classiques et du pouvoir. Ils s’investissent pour l’affirmation de leur citoyenneté en se mobilisant contre la corruption, la censure et la répression. Ils ont par exemple mené une campagne contre des policiers palestiniens qui ont agressé des manifestants devant le ministère de l’intérieur. Ils ont également organisé la couverture médiatique de la grève de la faim que les prisonniers palestiniens en Israël avaient entreprise. Ils ont dénoncé les arrestations politiques à Ramallah comme à Gaza. Les organisations de femmes sont très actives dans le domaine des législations discriminantes et la formation de leaders.

 

Cette mobilisation citoyenne de plus en plus structurée marque peut-être un moment où les Palestiniens prennent conscience que la consolidation du tissu social est un préalable à tout changement. C’est aussi la raison pour laquelle ils sont très investis dans les domaines de la culture, de la musique et de l'éducation, et la plupart usent des moyens de communication virtuelle et des réseaux sociaux, tout comme leurs homologues dans les pays arabes.

 

Il reste à savoir à quel moment ce travail patient de reconstruction et de consolidation portera ses fruits et influera véritablement la vie politique de ce pays morcelé, et toujours en attente « d’être reconnu »…